Astuciel du complaignant
Dans la vie de maintenant dans le monde environnant, il est de bon ton de "se dépasser".
Tu es triste? Relève toi! Tu es bête? Etudie! Tu es moche? Fais du sport!
En fait, non, ce n'est pas tout à fait ça. Si quelqu'un vient au devant de moi, me dis "Tu es moche, tu devrais faire du sport", on est bien d'accord, je lui mets mon poing dans la figure.
Non, en fait, c'est surtout qu'il ne faut pas SE PLAINDRE. Au pire, on a le droit de se morfondre, mais alors pas trop longtemps. Se laisser abattre, c'est pour les faibles. Les gens bien, eux, AGISSENT.
Moi, je passe plutôt pour une pleurnicheuse. Quand on me demande comment je vais, je ne me contente pas d'un "ça va" suivi d'un silence gêné. Des fois même, à certaines personnes qui ne me demandent rien, je viens raconter ceux de mes déboires contre lesquels je ne fais pas grand chose.
Je connais bien sûr des gens qui agissent toujours, et desquels je pense le plus grand bien. J'en connais aussi qui sans être plus avancés que moi, ne se plaignent jamais. Par pur esprit de contradiction, je trouve ceux-là ennuyeux. Par pur confort narcissique, je fréquente des gens qui se plaignent et j'adore ça. C'est que ces gens-là, à force de pratique, savent y faire!
Astuce n°1: La minimalisation. "Ah bah tu sais, ce n'est pas comme si toute ma vie était en jeu. Une année de perdue tu dis? Oh, je vivrai bien 90 ans, ça compensera!"
Astuce n°2: Broder. "...Et depuis, je suis devenu le dieu du peuple de l'évier."
Astuce n°3: L'auto-dérision. "J'aurais un lave-vaisselle que je serais capable d'en profiter pour régner sur un monde encore plus étendu!"
Astuce n°4: La joie dans le désespoir. "Tu sais, on a peu d'occasions de briller dans la vie. Et bien moi, quand je veux, je brille par ma connerie!"
Astuce n°5: S'adresser à ses semblables. "D'après toi c'est qui le plus boulet? Toi qui a encore oublié l'anniversaire de ta copine ou moi qui ai offert à la mienne du déo?"
Astuce n°6: Jouer la (très) mauvaise foi. "Il pleuvait et mes seules chaussures étanches n'allaient avec rien de propre et de repassé et je déteste avoir l'air d'un clodo. Je n'allais tout de même pas risquer de me mouiller les pieds avec l'égratignure que m'a fait le chat et risquer d'attraper la leptospirose! Tu sais bien que l'oncle de mon voisin d'en face est mort de ça et que ça m'a traumatisé!"
Astuce n°7: La mort comme réponse à tout. "De toute façon je vais mourir seule dévorée par mes chats".
Astuce n°8: L'élargissement de la réflexion. "Qu'est-ce que ça dit de moi d'après toi? Ce besoin que j'ai de toujours remettre au lendemain? Tu dis que c'est symptomatique d'un refus du monde moderne qui va bien trop vite? Tu crois qu'il y a moyen de citer un philosophe ici-même? Carpe diem, ça le ferait?"
Astuce n°9: Changer quand même, petit à petit. Parce que se plaindre ne signifie absolument pas qu'on ne fait rien. On joue celui qui ne fait rien, en plaisantant, pour ne pas trop s'affoler. Et on profite de l'espace de tranquillité ainsi aménagé pour avancer. On dépose son fardeau de culpabilité. On se confie. On analyse. On ne se ment pas sur le fait que c'est difficile et pourquoi, on comprend plus facilement ceux qui n'y arrivent pas... Et puis oui, on se bouge, mais à son rythme.
Astuce n°10 et but véritable de cet article: En plus de l'humour, qui ne manque pas aux pleurnicheurs que j'aime, il peut émerger de cette attitude pas très guerrière quelque chose qui ressemble à de la poésie...
Et alors, pour moi, on peut se plaindre de tout.
Et je vous renvoie ici aux Tales Of Mere Existence de Lev Yilmaz. Un type qui est un peu moi, qui tient des propos qui peuvent avoir l'air désabusés mais qui me font du bien. Et surtout, il les tient avec une voix, une voix...
L'astuce ultime, en somme et en toute chose, je crois que c'est bel et bien... La façon de le dire!
Et une petite vidéo ici (ma préférée, avec pour le coup, un vrai bon goût d'espoir):