Annulaire
Mon plus grand petit plaisir caché, en ce moment, c'est, une fois rentrée chez moi, rideaux tirés... de mettre ma bague préférée.
Un amour de solitaire en or blanc avec diamant, le tout dans les proportions les plus délicates qui soient, qui a le pouvoir de transformer instantanément mes pattes de yéti en gracieuses mains de princesse.
Oh mais, trépignez-vous, pourquoi se cache-t-elle, l'a-t-elle volée, est-elle maudite?
En quelque sorte. C'est une bague de fiançailles. De fiançailles rompues. Qui n'étaient pas franchement sérieuses, je veux dire, je n'allais pas me marier de sitôt, mais tout de même.
Du coup, pas moyen de porter cette petite merveille sans me sentir affreusement... coupable.
Qui a pensé "nostalgique"? Moi... mais c'est nouveau. Certes, c'est un petit bijou (au sens figuré. Il y a quand même quelques carats). Mais je me suis très bien passée de ses vertus anoblissantes, une fois mon annulaire physiquement réhabitué à la nudité.
Mais voilà, maintenant, quand j'en ceins mon doigt, je constate, honteuse, que je le fais avec cérémonie. Je pense que je ressemble alors tout à fait à la demoiselle d'honneur qui a attrapé le bouquet de la mariée, et qui s'autorise deux pas en le tenant devant elle, les yeux fermés, en s'imaginant deux petites filles qui tiennent la traîne de sa somptueuse robe blanche.
Ce n'est pourtant pas la sécurité, ni la magie de l'idée d'un mariage qui me manquent. Ni mon ex-fiancé, enfin, pas en tant que tel. Ni même simplement l'amour.
Rien de tout cela.
Je crois que j'ai la nostalgie... de l'engagement.
De l'absolu que cela représente:
"Je renonce aux autres choix, je renonce à changer d'avis,
et je crois, au sens d'une foi inébranlable, que j'ai raison de renoncer."
Je ne porte plus la bague en public, parce que j'ai l'impression de ne pas y avoir droit, d'abord, mais aussi parce qu'elle ne me va plus, et j'ai peur de la perdre.
Elle est trop lâche.
Je voulais, au début, pour l'esthétique de l'histoire, dire qu'elle était devenue trop serrée, et en faire un symbole du fait que je suis trop vaste (avec toutes mes portes ouvertes et toute mon entièreté de personne qui n'a besoin de personne pour la compléter) pour être restreinte au diamètre d'autrefois.
Mais en fait, mon pessimisme naturel aidant, je me suis rendue compte que la réalité physique exprimait très bien la réalité "cosmologique".
Un engagement est un surplus d'identité: une personne est surtout faite de ses choix et de ses limites.
Je ne sais plus m'engager car je ne sais plus croire car je n'ai aucun vecteur de confiance car je ne sais plus qui je suis, et du coup, je suis de moins en moins.
Les soirs où je la porte, je fais tourner la bague autour de mon annulaire, dont le nom dit la fonction, ou peut-être le destin, et en tout cas, l'aspiration.
Et j'évalue, inconsciemment, l'étendue du vide à combler.