Malaise

Publié le par Maylala


Je parlais il y a peu de racines.
Quand je disais, dans ma jeunesse, que je ne croyais pas à ma proximité particulière avec les "gens comme moi", c'était par principe moral. En effet, c'est ce genre de raisonnement qui fait dire que l'on se sent plus touché par 15 morts en France que par 100 morts au Niger, ce que je trouvais absurde bien que très humain. L'empathie est une affaire d'identification.

Plus jeune encore, quand j'élaborais ma théorie sur la justice du monde (celle selon laquelle toutes les vies, une fois achevées, ont le même bilan bonheur/malheur), je me demandais comment pouvait bien être équilibré le terrible malheur d'être pauvre et misérable, d'avoir faim et de croiser souvent la mort.
Et j'avais fini par me dire que ces gens-là connaissaient mieux que nous la valeur de la vie, appréciaient plus les tout petits bonheurs, et étaient comme anesthésiés vis à vis des malheurs (tout à notre inverse).

Depuis, je me suis ravisée: j'ai réalisé ce qu'il y avait de terrible et de dangereux à penser que le monde était juste, et surtout, j'ai eu l'occasion de détester le destin, et de refuser l'idée de sa perfection.

Et pourtant...

Hier, avant hier, en fait, depuis que l'on ne parle plus que de Haïti, et bien que la situation là bas, globalement, renforce mon opinion sur l'injustice du monde, j'ai eu droit à ce que l'on pourrait voir comme des arguments supplémentaires pour soutenir ma théorie d'autrefois.

Quand j'ai entendu des victimes du séisme, des personnes dont des proches venaient d'être tués, dire: "J'étais malheureuse, mais après cette messe, je ressens de la joie", ou bien, en souriant, "Dieu le veut et si dieu le veut, c'est bien", ou encore "Les malheurs sont bons car ils sanctifient le nom de dieu"... je me suis sentie mal.

Je peux concevoir un certain aplanissement des pics de malheur. Je peux même le comprendre.
Je peux presque comprendre l'acceptation.
Mais que l'on sanctifie dieu pour cela? Que l'on puisse le remercier? Qu'on ressente de la joie?

Il faut pour cela que je me fasse violence, mais je finis par penser que si la religion peut les aider, alors tant mieux.

Et puis, je connais cette foi qu'on pourrait croire aveugle. Ma grand mère créole, très croyante, dit aussi que la volonté de Dieu doit être respectée. Mais quand un malheur arrive, et quoiqu'elle continue à aimer Dieu,  je sais qu'elle souffre. La religion l'aide juste à donner du sens à ce qu'elle ne comprend pas.
Et invariablement, elle conclut: "On ne sait pas pourquoi mais c'est bien".


Je ne veux pas croire que ces témoignages prouvent mon ancienne théorie.
Je ne veux pas croire qu'on se fait à tout, que l'homme qui survit peut tout supporter.
Je refuse de penser que dieu, ou le responsable qui qu'il soit et s'il y en a, a eu raison.

Je pense que c'est ça, être Homme: refuser. Se battre.

Que la priorité de ceux qui souffrent soit de survivre. Et que nous autres nous chargions de dire non.




Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
J
<br /> trés bel article !! je l'ai relu trois ou quatre fois... bien ecrit et d'une senibilité rare !! et pour donner mon avis, je suis d'accord avec toi ( en même temps c'est facile)... bravo !<br /> <br /> <br />
Répondre
M
<br /> merci... je suis touchée, vraiment.<br /> <br /> <br />